Wednesday, April 15, 2015

Grexit : une solution de solidarité européenne.



Dans le feuilleton grec une chose est certaine : selon les critères des zones monétaires optimales (qui ont largement démontré leur validité dans l’explication du réel au cours des dernières années) la Grèce ne peut faire partie de la même zone monétaire que l’Allemagne. Et comme l’euro était jusqu’ici défini comme un DM bis la Grèce ne peut donc faire partie de la zone euro. Elle n’aurait jamais dû y être admise en premier lieu, ce que reconnaissent volontiers, avec une parfaite inconséquence logique, ceux qui en même temps nous assurent qu’il ne saurait être question que la même Grèce puisse reprendre son indépendance monétaire.

En réalité dans la mesure où il est totalement exclu que l’économie grecque puisse se muer en une sorte de clone de l’économie allemande, même en y consacrant beaucoup de temps et d’efforts, il n’y a aucun autre moyen pour la Grèce de retrouver la voie de la prospérité que de sortir au plus vite de l’euro, quitte à faire défaut partiellement ou totalement sur ses dettes en euros détenues par les banquiers français et allemands ainsi que par la BCE.

Une nouvelle drachme qui serait dévaluée dès les premières semaines de quelques 30 à 50% par rapport à une parité de définition initiale vis-à-vis de l’euro et du dollar, rendrait aux industries touristiques et pétrolières hellènes leur compétitivité perdue. Mais se poserait bien entendu la question de savoir quelles sanctions les marchés financiers extérieurs appliqueraient alors à l’emprunteur défaillant. Là est le nœud du problème et c’est ce qui pourrait empêcher une Grèce défaillante de retrouver la prospérité. C’est aussi ce qui empêche aujourd’hui le gouvernement grec de choisir la sortie de l’euro par crainte de difficultés financières inextricables dans un proche avenir.

Certes il apparaît que l’opinion publique grecque souhaite conserver l’euro, sans doute comme gage de son appartenance étroite au cercle interne le plus restreint de l’Union Européenne, tant est grande la défiance à l’égard du voisin turc. Mais il est tout aussi clair qu’il n’est pas et ne sera pas possible à l’avenir de donner simultanément satisfaction à l’aspiration légitime du peuple grec de retrouver la prospérité et à son aspiration à conserver l’euro comme monnaie nationale. Le jeu du gouvernement Tsipras consiste alors à démontrer à ses électeurs que ce sont les créanciers du nord de l’Europe, alliés au FMI, qui en refusant de consentir de nouvelles facilités de paiement et de crédit obligent le pays à quitter l’euro, contre son grès. Le gouvernement grec espère ainsi revenir sur son engagement de rester dans l’euro sans pour autant subir la sanction que risquent de lui infliger les électeurs.

De son coté le gouvernement de Mme Merkel, chef de file des créanciers et donc de la rigueur comptable, qui n’est pas illégitime, sait très bien que ses électeurs ne veulent à aucun prix s’engager dans la voie d’une Europe fédérale qui impliquerait des transferts permanents à perte de vue pour les pays d’Europe du sud, à la façon de ce que fait l’Italie du Nord pour le Mezzogiorno ou encore l’Allemagne de l’ouest pour les Länders de l’est. Ces transferts sont des soins palliatifs mais ils ne soignent pas utilement le problème sous-jacent de l’inégalité du développement économique. Il s’ensuit que rationnellement, tant le gouvernement Tsipras que le gouvernement Merkel sont en réalité d’accord pour un Grexit, une sortie de la Grèce de l’euro. Mais chacun tente de faire porter à l’autre toute la responsabilité de la rupture, pour des raisons électorales : M. Tsipras parce qu’il a promis à ses électeurs de rester dans l’euro et Mme Merkel parce qu’elle a promis aux siens de ne plus accorder la moindre aide à fonds perdus à une Grèce décrite comme « parasitaire ».  

L’euro est bien la pomme de discorde qui, au lieu de favorise une « union toujours plus proche » entre les pays membres de la zone pousse progressivement à un éclatement de l’Union Européenne comme l’avait parfaitement prévu l’économiste Martin Feldstein dès 1992.

Peut-on alors imaginer une solution qui puisse à la fois permettre aux deux gouvernements antagonistes d’appliquer la politique qu’ils souhaitent tout en substituant une réelle solidarité européenne au conflit actuel destructeur de l’Union. C’est à mon sens une question d’incitations positives. L’analyse économique et la rationalité ne laissent pas d’ambiguïté sur l’issue : c’est le Grexit qui doit s’imposer. Pour l’obtenir par accord entre les deux protagonistes plutôt que par recours au bras de fer dans lequel chacun tente de faire porter à l’autre toute la responsabilité de cette issue nécessaire, il faut que l’Allemagne rende la sortie grecque à la fois honorable et non toxique. Elle peut le faire en partant du constat d’impossibilité de sauver l’économie grecque sans la doter d’une monnaie indépendante et adaptée à ses besoins, économiques comme politiques. Mais elle doit rendre cette sortie plus attractive en prévoyant une aide financière non plus en cas de maintien de la Grèce dans le carcan de l’euro mais au contraire en cas de sortie. Ce devrait être un nouveau plan Marshall assorti de crédits renouvelés, pour un temps limité, qui seraient consentis à la Grèce et à sa nouvelle monnaie, en liaison avec la BCE pilotée par M. Draghi dans le même sens. Et de son coté le gouvernement grec doit tenir, dans ces conditions, un langage de vérité à ses électeurs en leur expliquant que le retour à la croissance est possible et qu’il sera soutenu par les autres européens, mais au prix d’une sortie de l’euro qui ne signifie pas pour autant la sortie de l’Union européenne, bien au contraire. Les résultats positifs d’une telle sortie assortie d’une dévaluation substantielle, d’un effacement partiel de sa dette en euros et d’une nouvelle aide des autres européens devrait entraîner des résultats encourageants en termes de croissance à horizons de quelques mois, ce qui suffirait certainement à rallier la plupart des électeurs hellènes à cette nouvelle donne.

Au lieu d’aller droit à la crise par confrontation de deux gouvernements qui sont au fond d’accord sur la seule solution possible, un accord constructif de solidarité européenne permettrait à la fois de satisfaire les aspirations toutes deux légitimes du peuple allemand et du peuple grec.

Mais il faut pour cela un peu plus de réalisme et de hauteur de vues tant à Athènes qu’à Berlin et à Francfort.





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